« Le moi moderne est en tension permanente entre aspiration à l'authenticité et adaptation aux contraintes sociales ». Eva Illouz
« Avant j’avais des principes. Maintenant j’ai des enfants. » Anonyme. Cette phrase, longtemps, m’a semblé être une échappatoire pratique, une pirouette rhétorique de parents débordés qui avaient abandonné leurs idéaux à la porte de la crèche. Puis j’ai eu ma fille, et ma perspective a doucement changé. Alors, peut-on trahir sans se compromettre ? Cela fait il de moi un être malhonnête et doté de vilains défauts ?
Il faut noter que j’ai grandi dans un schéma familial contrasté, entre une mère féministe et contrainte par la réalité économique et un père au discours rigide et aux actes contradictoires. J’ai grandi en observant leurs incohérences, jurant en silence que jamais je ne reproduirais ces erreurs-là. Cette promesse silencieuse était mon fil rouge : être cohérente, juste, alignée avec mes principes.
Et puis ma fille est née.
Et très vite, j’ai compris que l’exemplarité que je m’étais fixée comme un objectif de vie s’effondrait comme une tour en kapla fragile, mise à mal par ce simple mot : le quotidien. Du jour au lendemain, ou presque, je me suis retrouvée face à mes propres contradictions, aux petits arrangements avec des principes pas toujours jolis jolis, et j’ai faite une découverte essentielle : non seulement la fidélité à soi-même est mouvante, mais elle est constamment imparfaite, faite de nuances et de compromis parfois (souvent) nécessaires. Welcome in the real life baby !
D’ailleurs, selon une étude réalisée par Ipsos (2023), 68% des parents français ressentent une forme de culpabilité régulière quant à leurs contradictions éducatives, et 72% (soit près de 3 personnes sur 4) affirment que leurs choix parentaux les amènent à réévaluer profondément leurs valeurs personnelles. Mes hésitations ne seraient donc pas seulement une faiblesse personnelle, mais une réalité partagée par beaucoup ? AMEN. Si cela ne soulage pas ma culpabilité permanente et ne résous pas tout mes torts, cela me donne un peu d’air dans mon objectif de vie de mère parfaite.
Car cette tension permanente qu’évoque Eva Illouz, je la ressens chaque jour avec ma fille. Dans la longueur de ses jupes, dans ses choix relationnels, dans sa capacité à me répondre, dans sa quête d’autonomie. Dans l’envie de lui offrirune liberté totale et dans mon désir intime, voire contradictoire, qu’elle fasse des choix « raisonnables », sécurisants. Mais sécurisants pour qui ?
Rester loyale à soi-même sans devenir prisonnière de ses propres idéaux, c’est possible, docteur ?
Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Peut-être, oui, si l’on considère que la fidélité profonde, et la vie en général, n’est pas une ligne droite toute tracée en mode straight on this way, mais plutôt une sorte de boussole intérieure qui nous permet de naviguer entre les vagues et la mère d’huile, avec souplesse et parfois sans haleine. Entre doux principes et dure réalité, entre la vraie vie et un sketch de Florence Foresti. Peut-être en comprenant que certaines trahisons apparentes, si on les considère ainsi (la plupart du temps, on s’arrange toujours avec nos trahisons, c’est souvent l’autre qui la définit comme telle…) sont, en vérité, des ajustements (des tests, des erreurs, des envies parfois idiotes, des lubies, des défis, appelons les comme vous voulez) nécessaires pour préserver une valeur plus grande : celle du lien vivant, authentique, humain. Et par là même notre envie, parfois irrémédiable de nous mettre en danger, de nous tester, de faillir pour mieux nous accrocher.
Never say never
Aujourd’hui, je n’aspire plus à ce que ma fille me voie comme irréprochable ou infaillible justement. Je veux lui montrer que l’on peut, que l’on doit s’autoriser à changer d’avis sans se renier, que se contredire même parfois est aussi une forme, subtile j’en conviens, d’intégrité, celle d’écouter qui l’on devient plutôt que de s’accrocher à qui l’on croyait devoir être.
Qu’elle s’accorde cette permission douce de grandir, d’évoluer, d’apprendre, et de réviser ses certitudes en cours de route. Un équilibre délicat mais essentiel, pour ne jamais se perdre tout à fait.